Le Nigéria : un pays créatif, inégalitaire et déchiré

Phénomène de ‘JAPA’ ou l’exode massif d’une partie de la jeunesse nigériane

, par LA CASE

La jeunesse nigériane représente plus de la moitié de la population du pays (107 millions de personnes âgé·es de 0-18 ans et 59 millions de personnes âgé·es de 18-35 ans en 2021). Si la présence d’une population aussi jeune représente un atout pour la prospérité économique du pays, le poids démographique de cette population est également synonyme de défi pour notamment répondre à ses besoins et aspirations.

Le nombre de jeunes Nigérian·es sans emploi est en effet en perpétuelle hausse depuis ces dernières années avec une population jeune au chômage qui représente plus d’un tiers de la population (dont 17 % sont titulaires d’un diplôme supérieur). Les perspectives d’avenir ne semblent pas s’améliorer avec des débouchés insuffisants sur le marché du travail. Ce manque de perspective attire les jeunes les plus précaires vers la criminalité. Le Nigéria fait face depuis ces 5 dernières années à la recrudescence des kidnappings contre rançons motivés à plus de 91% par des raisons financières, d’après le Bureau National des statistiques. Ces kidnappings sont principalement le fait de jeunes en manque d’opportunités.

Les plus privilégiés peuvent décider de « Japa ».
Issu du Yoruba pour signifier le fait de s’enfuir, le terme « Japa » a rapidement été intégré dans l’argot nigérian pour désigner le phénomène d’exode massif de la jeunesse nigériane. En effet, le pays connaît depuis 2020 un phénomène massif d’expatriation d’une partie de sa population.
Si le Nigéria a toujours été sujet à l’émigration d’une partie de sa population, le phénomène de « Japa » se distingue par la typologie des personnes qui partent et la rapidité du départ qui se fait généralement dans une très grande discrétion.

Le phénomène touche les jeunes diplômé·es ou employé·es. Ces trentenaires et quarantenaires, pour la plupart, sont la cible de programmes de recrutement de talents des pays à la recherche de salarié·es qualifié·es dans des secteurs en tension. En tête de liste, on retrouve le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada. La délivrance de permis de travail à des travailleur·ses nigérian·es a ainsi augmenté de 399 % au Royaume-Uni en 2022 par rapport à l’année 2019 (d’après les chiffres du UK Home Office).

Cet exode massif s’explique par une perte de confiance en l’amélioration du pays face à ses constants problèmes de sécurité, mais aussi face à des crises économiques répétées, et qui a vu la valeur du naira drastiquement chuter. La répression du gouvernement face au mouvement de protestation End Sars [1] en 2020 et les méfiances face au résultat de la présidentielle n’ont pas arrangé les choses. L’élection controversée de Bola Tinubu à la présidence du pays face à Peter Obi, très soutenu par une partie de la population jeune des quartiers urbains, n’a fait qu’appuyer les désirs de départ d’une jeunesse déjà désabusée.

Le « Japa » pose le problème de la fuite des cerveaux, commun aux pays où la classe moyenne qualifiée émigre massivement. Le secteur médical nigérian est particulièrement touché avec un nombre croissant de médecins et d’infirmier·ères candidat·es à l’exil.

Le phénomène ne semble pas prêt de s’estomper avec 69 % [2]] de Nigérian·es ayant exprimé la volonté de s’expatrier en 2022 contre 39 % en 2019.

Notes

[1Mouvement social au Nigéria qui a commencé sur Twitter en 2020 pour appeler à l’interdiction de la Special Anti-Robbery Squad (SARS), une unité de la police nigériane établie en 1999 pour faire face aux vols à mains armées dans le pays. Cette unité a par la suite évolué et s’est spécialisée dans la lutte contre les cybercriminels. Sa réputation a cependant été ternie après de nombreux cas de brutalités policières. Cet appel à mettre fin à l’oppression et à la brutalité policière au Nigéria s’est terminé par la mort d’au moins 11 manifestant·es au Lekki Toll Gate après l’intervention de l’armée.

[2D’après le Nigeria Social Cohesion Survey Report [2022