Le Sénégal, terre de migrations

La « clandestinisation » de l’émigration

, par CRECSI, Le Partenariat

Aujourd’hui, le Sénégal, qui a toujours été une terre de migrations, est confronté aux politiques internationales qui deviennent de plus en plus restrictives, à la fois au niveau européen et sur les autres continents. Les nouveaux dirigeants du Sénégal entendent faire de la lutte contre le phénomène de migration clandestine un axe fondamental de leur politique.

La volonté de ce nouveau gouvernement et les politiques qu’il entend mettre en place seront-elles efficaces pour endiguer les drames migratoires ? [1]

Entre 2014 et 2021, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé plus de 1 500 mort·es entre les côtes africaines de l’Atlantique et les îles Canaries espagnoles. Parmi eux, 330 Sénégalais·es ayant péri ont pu être identifié·es par le programme Missing Migrants.

Externalisation et militarisation des frontières

Depuis les années 2000, les États européens réfléchissent à une politique commune pour la gestion des frontières extérieures. En 2002 est créé un groupement d’experts en frontières extérieures qui a pour but une gestion intégrée de ces frontières.
En 2004, est créée l’agence européenne pour la gestion et la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (UE) ou Frontex (du français FRONTières EXtérieures), suite à l’adoption du Programme de La Haye portant notamment sur les politiques d’externalisation de l’asile. En 2005, le siège de Frontex est installé à Varsovie et l’organisme entre en fonction. En 2007 se met en place un réseau européen de patrouilles maritimes qui intervient conjointement avec des pays du pourtour méditerranéen. Ce réseau Frontex regroupe la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, Malte, Chypre et la Slovénie. Il est responsable de la coordination des activités des garde-frontières pour le maintien de la sécurité des frontières de l’Union avec les États africains. Ainsi, Frontex a un budget de 400 millions d’euros pour l’achat d’équipements de drones et autres technologies de surveillance.

Depuis 20 ans, l’agence Frontex est accusée de protéger les frontières européennes au mépris de la vie et des droits des personnes qui migrent. De nombreux signalements ont été émis concernant des violations de droits humains, l’agence est accusée de complicité dans des refoulements illégaux, de mener des opérations de retour particulièrement indignes et traumatisantes, de collaborer avec des régimes autoritaires et faillis… Elle symbolise les politiques migratoires ultrasécuritaires et mortifères de l’Union européenne, avec un domaine d’activités qui s’étend toujours plus. Malgré ses défaillances, elle semble intouchable.

Bâteau de Frontex, Port de Kos, Grèce.
Photo Le Gisti CC BY-NC

L’année 2022 a été marquée par la guerre en Ukraine, déclenchée par l’agression russe du 24 février. Les conséquences de ce conflit continuent de se répercuter sur les relations entre l’UE et les pays africains. Ces derniers ont fait les frais de l’interruption des exportations ukrainiennes de blé et de céréales, ainsi que des principaux intrants agricoles tels que les engrais.Les dispositifs de contrôle en Afrique de l’Ouest et du Nord. L’inflation, liée à ce contexte, est venue mettre à mal l’économie du Sénégal. Le prix des matières premières et des denrées alimentaires s’est envolé.

De plus, ce que l’on peut qualifier de « pillage des ressources halieutiques sénégalaises » aggrave la situation. En effet, les flottes étrangères qui exploitent massivement les ressources halieutiques du Sénégal, souvent par des accords opaques, ont asséché les ressources en poissons, laissant un grand nombre de pêcheurs locaux démunis de leur principale source de revenu. De nombreux pêcheurs plongés dans la pauvreté envisagent la migration comme seule solution. D’après un rapport de la Fondation pour la justice environnementale, les deux tiers des pêcheurs sénégalais affirment que leurs revenus ont baissé au cours des cinq dernières années, ce qui a aggravé leur précarité et alimenté les flux migratoires vers l’Europe.
Parallèlement à la création de Frontex, les ministres de l’Intérieur et de la Justice des pays membres de l’UE mettent en place des politiques de restriction et de contrôle des flux migratoires qu’ils confient à des États censés jouer les « chiens de garde » de l’Europe (Algérie, Tunisie, Maroc, Mauritanie et Libye). Ceux-ci contribuent, moyennant finance, à la création de « camps de réception pour les demandeur·ses d’asile » sous leur responsabilité et non celle de l’UE.

Ainsi est créé à Nouadhibou (Mauritanie), dans une ancienne école, un camp de rétention où se retrouvent les candidat·es au départ de toute l’Afrique de l’Ouest ayant échoué dans leur tentative par terre ou par mer. La ville elle-même est devenue un véritable siège de Frontex : la circulation est contrôlée, la plage est une zone militaire. S’instaurent ici des relations de xénophobie : des migrant·es contre les Maures qui les exploitent, des Maures pour lesquel·les les Noir·es n’ont aucun droit. Par la Libye, ce sont plus de 40 000 immigrant·es africain·es débarqué·es en Italie qui ont été « déporté·es » vers les camps de rétention de Tripoli. Elle est le 1er pays non européen à s’intégrer dans la politique d’externalisation de l’UE.
Les camps se multiplient également aux frontières extérieures : Canaries, îles grecques, sud de l’Italie. Ce sont en général d’anciens domaines militaires gardés par des troupes paramilitaires et difficilement accessibles aux représentants du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Toutefois, la politique européenne d’externalisation du contrôle migratoire doit ménager ses rapports avec la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). En effet, la CEDEAO, créée en 1979 et réunissant 15 États de l’Afrique de l’Ouest favorables à la libre circulation des personnes (la Mauritanie n’en fait pas partie), est mise à mal par des accords bilatéraux passés entre États africains et États européens. Cependant, en janvier 2023, le Mali, le Burkina Faso ainsi que le Niger ont annoncé leurs sorties de la CEDEAO pour créer l’AES (Alliance des États du Sahel). Cette annonce intervient dans un contexte où la CEDEAO, qui défend la “démocratie et l’intégration économique régionale”, s’est fermement opposée aux coups d’État qui ont eu lieu ces dernières années au sein des pays membres et fondateurs de l’AES. Cette nouvelle alliance refuse notamment les ingérences étrangères, elle prône une plus grande souveraineté face aux formes de pression occidentale et régionale. Ces États sahéliens réclament une gouvernance plus autonome et un cadre de coopération axé sur la sécurité, le développement local et la lutte contre le terrorisme.

Ces « accords concertés pour un développement solidaire » provoquent la déconstruction des sous-ensembles régionaux africains et risquent de provoquer des affrontements entre États. Ils ont aussi pour effet de vider les pays de leur « substance grise » alors que se met en place le retour des « inutiles » puisque l’aide au développement est soumise au retour des migrant·es.

Les nouvelles routes de migrations issues des politiques européennes

Malgré la mise en place de barrières depuis les années 1970, les migrations ont toujours continué car elles sont l’essence même de la mobilité humaine.

Pirogues.

Après la crise pétrolière de 1974, une nouvelle ère sonne pour les candidat·es à la migration. Les barrières apparaissent aux frontières et les migrant·es se voient contraint·es de diversifier leurs destinations. En Afrique, c’est d’abord vers l’Afrique du Sud que partent les Sénégalais·es. En Europe, iels se tournent vers l’Italie car le passage vers la France est facilité par la mise en place de réseaux clandestins de passeurs. L’insertion s’effectue d’abord dans le commerce et dans l’industrie du cuir. Les régularisations sont facilitées par la mise en place de lois (loi Martelli en 1990 et loi Sini en 1994).
La diversification des pays d’accueil va se poursuivre avec la demande de main d’œuvre d’une Espagne en pleine croissance dès le début des années 2000. Mais ces besoins se ralentissent dès 2008, lorsqu’apparaît une nouvelle crise économique.

Les jeunes empruntent des pirogues pour rallier les îles Canaries, étape pour l’Espagne. C’est l’alternative terrible mais pleine de symbolisme : « Barça walla Barsakh », « Barcelone ou la mort ». Parmi les différentes raisons qui expliquent les départs à cette période, on peut citer : la faillite des destinations de prédilection comme la France et la Côte d’Ivoire et le gonflement de la masse des candidat·es au départ, l’essoufflement des réseaux ethniques et confrériques organisateurs des départs vers l’étranger, la monétarisation accrue des réseaux de départ.

En 2006, plus de 31 000 migrant·es irrégulier·ères sont arrivé·es aux Canaries. C’est ce que l’on a appelé la crise des cayucos, du nom des barques couramment utilisées par les pêcheurs au Sénégal et en Mauritanie. Au total, c’est à peu près le même nombre de personnes - 30 705 migrant·es – qui sont arrivées aux îles Canaries en 2023, selon les données du bilan du ministère de l’Intérieur au 31 octobre 2023. Les arrivées en 2024 dans les îles ont plus que doublé (111,2 %) par rapport à l’année précédente à la même époque.
En 2024, le nombre de migrant·es clandestin·es arrivé·es dans les Canaries a fortement augmenté par rapport à 2023. En effet, en passant de près de 10 000 à plus de 22 000, le nombre de migrant·es clandestin·es arrivés dans l’archipel des Canaries entre le 1er janvier et le 15 août a plus que doublé par rapport à la même période l’année dernière (chiffres du ministère de l’Intérieur espagnol).

La médiatisation à outrance de la filière des pirogues, qualifiée de clandestine (mais toutes les autres le sont aussi) développe l’attrait des candidat·es au départ mais la rend plus précaire face au renforcement de la surveillance des côtes et des frontières. En même temps, cette filière coûte cher (environ 500 000 FCFA pour un revenu mensuel moyen de 40 000 CFA, soit 762 € pour un revenu de 61 €) et n’est donc accessible qu’avec l’aide de la famille, voire du village, ou bien elle concerne les moins pauvres, tout autant attiré·es par le mirage européen, même s’iels ont un travail au pays.

Reste enfin à parler d’une autre destination apparue lorsque l’Europe a commencé à fermer ses frontières dans les années 1980 : le rêve américain. Dans un premier temps, cette migration était alternante. Il s’agissait de commerçants de l’important marché de Sandaga à Dakar venus s’approvisionner en matériel électronique, revendu ensuite sur ce même marché. Ils arrivaient à New York avec des produits africains vendus à la sauvette, qui assuraient une partie de leurs achats de petit matériel.

Cette migration a évolué, soutenue par la confrérie mouride, elle est devenue une migration sédentaire, d’abord majoritairement masculine mais avec des effectifs féminins croissants. Grâce à l’appui des Mourides qui apportent l’aide financière nécessaire à l’insertion résidentielle ou professionnelle, les migrant·es, souvent issu·es de milieux pauvres, avec une éducation essentiellement coranique, réussissent dans beaucoup de corps de métier : chauffeurs de taxi à Harlem ou Brooklyn, marchands ambulants ou commerçants sédentaires, employés de restaurant, ou coiffeuses pour les femmes.
Mais le constat est toujours le même : la migration vise toujours à satisfaire les besoins des pays d’accueil sans jamais se préoccuper de l’intérêt des pays de départ.

Nouveaux défis et dynamiques migratoires

Entre 2010 et 2018, le Sénégal se classe deuxième parmi les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) en termes d’intentions d’émigration, avec 36 % des personnes de 15 ans et plus exprimant le désir de vivre dans un autre pays de manière permanente (Source : enquête mondiale Gallup). Bien que les intentions d’émigration soient élevées, seulement 24 % envisagent de le faire en 2024 et 22 % ont commencé à préparer leur départ.
La principale raison des intentions d’émigration est le manque d’opportunités d’emploi au Sénégal. Les données montrent que 50 % des personnes souhaitant émigrer estiment que leur emploi actuel n’est pas idéal. Les difficultés économiques, la recherche d’emploi et la volonté de trouver du travail sont les principaux motifs de l’intention d’émigration.
En 2021, la route migratoire vers les Canaries a été le théâtre de 124 naufrages, entraînant la perte de 4 016 vies. Ces chiffres font de cette voie migratoire la plus meurtrière en termes de nombre de passages en mer.
La France est le pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) privilégié par les émigrés·es sénégalais·es : environ 160 000 émigré·es sénégalais·es résidaient en France en 2020. Vient ensuite l’Italie, avec environ de 110 000 personnes en 2020. L’Espagne est la troisième destination des Sénégalais·es, avec environ 57 000 personnes. Le premier lieu d’émigration reste africain, avec 20 % des départs vers la Gambie, ce qui s’explique en partie par le rôle central de « plaque tournante » du Sénégal dans les migrations en Afrique de l’Ouest.
Les traversées irrégulières et les incidents se multiplient le long des côtes ouest-africaines. Entre janvier et mars 2024, 12 épaves ont été identifiées le long de la route Atlantique d’Afrique de l’Ouest et 119 migrant·es sont décédé·es ou ont disparu pendant cette période. Ce chiffre est probablement sous-estimé car de nombreuses épaves restent invisibles (non signalées). En 2024, ces naufrages ont eu lieu au large des Canaries (Arguineguín, El Hierro), du Maroc (Dakhla), du Cap Vert (Sao Vincente) et au Sénégal (près de Saint Louis). Les naufragé·es sont pour la plupart des Subsaharien·nes non-identifié·es.

Le Sénégal, plaque tournante des migrations ouest-africaines

Malgré tous ces obstacles, le Sénégal, dont la situation géographique est une fenêtre de l’Afrique de l’Ouest sur l’Atlantique, reste une plaque tournante des migrations.
Terre d’immigration comme le prouvent les fortes communautés de Guinéens (Guinée Bissau et Conakry), de Maliens, de Gambiens et de Mauritaniens. Les Marocains, les Libanais et les Français représentent 15 % de la population immigrée. Ils sont habituellement des hommes d’affaires. Récemment s’y sont ajoutés les Chinois en nombre croissant, particulièrement dans le commerce dakarois.

Dorénavant terre d’émigration, le pays est traversé par des migrations de transit et doit concilier l’inconciliable entre, d’une part, le respect des dispositions de libre circulation au sein de la CEDEAO, qui se traduit par la libre entrée sur le territoire sénégalais de tout Ouest-Africain·e détenteur·rice d’une pièce d’identité en cours de validité et, d’autre part, les décisions de certains pays de l’espace Schengen qui l’obligent à retenir sur son territoire des ressortissant·es ouest-africain·es en transit et à en assumer toute la charge économique et sociale. Cette situation favorise l’implantation et le développement sur le territoire sénégalais des réseaux de trafic illicite de migrant·es liés au crime organisé. Les migrant·es « en panne » sont autant de candidat·es à l’émigration clandestine.Terre d’émigration enfin car reste très fort le « désir de l’Ailleurs ». L’imaginaire et la subjectivité construits sur la parole de celui ou celle qui revient, figure de la réussite, favorisent les départs, conçus aussi comme un rite de passage vers la maturité.

Les relations entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) concernant les migrations

En novembre 2015, le sommet de La Valette sur la migration a réuni les dirigeant·es européen·nes et africain·es dans le but de renforcer la coopération et de relever les défis liés à la migration, tout en cherchant à exploiter les opportunités qu’elle offre. Les participant·es ont adopté une déclaration politique et un plan d’action visant à aborder les causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de population, à intensifier la coopération en matière de migrations et de mobilités légales, à renforcer la protection des migrant·es et des demandeur·ses d’asile, à prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrant·es et la traite des êtres humains, ainsi qu’à coopérer davantage pour améliorer la gestion du retour, de la réadmission et de la réintégration.

Le Fonds fiduciaire de l’UE à l’Afrique a produit des résultats concrets. Pour rappel, le fonds fiduciaire est une aide financière, une modalité de financement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) consacrée à la stabilité et la lutte contre le phénomène de l’immigration irrégulière qui passe par la compréhension des causes profondes expliquant le déplacement des personnes. Il a permis la création de 127 800 emplois, offert une aide à 668 500 personnes pour le développement d’activités rémunératrices, fourni des services sociaux de base à 9,5 millions de personnes, distribué une aide nutritionnelle à 4,4 millions de personnes, assuré la protection de 509 000 migrant·es en transit et personnes déplacées de force, informé 2 millions de personnes des risques liés à la migration grâce à des campagnes d’information, et impliqué 1,9 million de personnes dans des activités de prévention des conflits et de consolidation de la paix.

La pandémie de COVID-19 a montré à quel point l’Afrique et l’Europe sont interdépendantes. Les défis mondiaux appelant des solutions mondiales, l’UE a élaboré des plans pour soutenir les efforts déployés par des pays partenaires dans la lutte contre la pandémie. À l’appui de ces actions, l’UE et ses États membres se sont engagés à déployer un ensemble de mesures d’un montant de près de 38,5 milliards d’euros.
Le sixième sommet Union européenne (UE) - Union africaine (UA) a eu lieu en février 2022 à Bruxelles, dans un contexte marqué par des crises multiples telles que la reprise de la pandémie de COVID-19, une croissance de l’instabilité sécuritaire en Afrique et des pressions migratoires persistantes. Ce sommet avait pour objectif de lancer un partenariat renouvelé entre les deux continents, en mettant l’accent sur une coopération plus équitable. Cependant, les tensions historiques et les divergences d’intérêts ont rendu les débats plus complexes.

Ce renouvellement de partenariat s’est articulé autour des éléments suivants :
• Un paquet d’investissement Afrique-Europe d’au moins 150 milliards d’euros
• La fourniture à l’Afrique d’au moins 450 millions de doses de vaccins au cours de l’année 2022
• Une coopération plus poussée au service de la paix
• Un partenariat renforcé en matière de migration et de mobilité
• Un attachement au multilatéralisme.
 
Cette promesse de plan d’investissement de 150 milliards d’euros inclut des projets d’infrastructures, de santé et de transition énergétique. La question vaccinale, qui revêt également une grande importance dans ces accords partenariaux, a également fait l’objet de débats, avec une déclaration symbolique en faveur d’un « transfert technologique » pour la fabrication de vaccins en Afrique. Toutefois, on peut relever un manque de clarté et de garanties concrètes dans ces annonces, considérées comme une réponse insuffisante aux attentes africaines. Plusieurs organismes tels que « Global Citizen » « Action santé mondiale » « Save de children » ou encore « Humanity inclusion » se sont d’ailleurs associés dans un communiqué de presse commun afin d’exprimer leur doutes et regrets vis-à-vis des conclusions de ce sommet.

Les discussions ont également révélé des divergences concernant la question migratoire. L’UE a maintenu une position rigide, insistant sur la nécessité de « freiner » les flux migratoires et de renforcer les contrôles aux frontières. Cette position peut laisser craindre une externalisation accrue des frontières européennes et une augmentation des violations des droits des migrant·es. L’importance accordée aux partenariats sécuritaires et aux accords de réadmission peut également laisser craindre une approche déséquilibrée, qui néglige les causes structurelles des migrations, telles que la pauvreté et les conflits.

Les relations entre la France et le Sénégal connaissent une période de forte tension, exacerbée par les déclarations récentes d’Emmanuel Macron sur la présence militaire française en Afrique. Lors d’une interview, le président français a affirmé que contrairement aux pays sahéliens qui ont exigé le départ des troupes françaises, d’autres nations africaines continuent de vouloir de cette présence. Cette sortie a suscité une réaction immédiate et indignée du Sénégal et du Tchad, qui ont dénoncé une attitude condescendante et paternaliste. Le Sénégal a particulièrement mal accueilli ces propos, les considérant comme une tentative de dicter à l’Afrique ses choix stratégiques et sécuritaires.

Cette déclaration s’inscrit dans un contexte où le Sénégal cherche à redéfinir ses partenariats militaires et économiques en s’éloignant progressivement de l’influence française. Le Premier ministre Ousmane Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté de renforcer la souveraineté du pays, notamment en diversifiant les alliances stratégiques vers des puissances comme la Chine, la Turquie et la Russie. La remise en question de la présence militaire française, bien que moins radicale qu’au Mali ou au Burkina Faso, traduit cette dynamique de rupture progressive avec l’ancienne puissance coloniale.
Parallèlement, la question mémorielle continue d’alimenter les crispations. Lors de la commémoration du massacre de Thiaroye de 1944, où des tirailleurs sénégalais furent exécutés par l’armée française pour avoir réclamé leur solde, Emmanuel Macron s’est rendu à Dakar pour marquer cet événement. Si ce geste diplomatique visait à apaiser les tensions, il n’a pas suffi à calmer les critiques, notamment celles des autorités sénégalaises, qui exigent une reconnaissance plus franche et un accès complet aux archives sur cet épisode sombre de l’histoire coloniale.

Face à ces tensions, la relation entre la France et le Sénégal est en pleine mutation. Les récentes discussions entre Emmanuel Macron et Bassirou Diomaye Faye ont porté sur une refonte des accords de coopération, notamment économiques et militaires. Si Paris tente de maintenir son influence, Dakar affiche de plus en plus son indépendance, cherchant à s’émanciper d’une relation asymétrique longtemps héritée de la colonisation. Le climat actuel montre que la France ne peut plus se permettre d’imposer ses vues sans provoquer une levée de boucliers en Afrique de l’Ouest.

Notes

[1Ce terme de « drame de la migration » désigne l’ensemble des tragédies humaines induites par le déplacement forcé ou contraint de personnes essentiellement de manière clandestine (pour cause de guerre, de pauvreté ou de crises). Cela inclut les violences, les modes de vie difficiles dans des camps, et ou les séparations familiales, ainsi que les naufrages mortels. Ce terme est souvent utilisé par les médias, les ONG et les politiques pour attirer l’attention sur la souffrance des migrant·es et les enjeux humanitaires, tout en mettant en lumière les défis liés à l’accueil et à la gestion des migrations.