Multinationales : les batailles de l’information
Sommaire du dossier
- Introduction
- Directive « Protection des secrets d’affaires » : un nouveau droit au secret pour les entreprises
- Droit à l’information ?
- Lanceurs d’alerte : Ne tirez pas sur le messager !
- « Procès bâillons », ou comment intimider les voix critiques
- Le jeu des 7 familles
- Médias sous emprise
- « Le lien entre campagnes militantes et journalisme d’investigation est plus ancien qu’on ne le croit généralement »
- Quels enseignements peut-on tirer des rapports « développement durable » des entreprises ?
- Reporting pays par pays : la transparence dans tous ses États
- Cartographier les multinationales grâce aux données ouvertes
- Union européenne : la transparence suffit-elle à contrebalancer le pouvoir des lobbies ?
- Au-delà des beaux discours, quelle est la véritable position des entreprises sur le climat ?
- Aides publiques aux entreprises : un besoin criant de transparence
- Étiquetage, publicité, greenwashing : du droit à l’information à la lutte contre la désinformation
- L’information sur les entreprises et l’intérêt général : syndicats et société civile peuvent-ils faire cause commune ?
- PSIRU : un centre de recherches sur les services publics et leur privatisation
- Conditions de travail et droit de regard des salariés : menaces sur la démocratie sociale en France
- « Les entreprises gagnent à être transparentes vis-à-vis de leurs salariés et des ONG »
- Public Eye : le regard suisse sur les injustices
- SOMO, un centre de ressources sur les multinationales aux Pays-Bas
- Quand la société civile dresse son propre bilan de l’activité des entreprises
- Multinationales et droits de l’homme : l’autorégulation n’a jamais fonctionné…
- Le Tribunal permanent des peuples (TPP), un tribunal « d’opinion et non de pouvoir »
- Le Cetim : comment mettre à profit les instances des Nations unies pour dénoncer les violations des droits humains par les multinationales
- Ejolt, un projet pour « cartographier la justice environnementale »
- Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme
- Mirador : un projet d’éducation à l’entreprise multinationale
- Cibler les multinationales en traquant leurs financeurs
- Textile, électronique, agroalimentaire… Quelle information pour responsabiliser les grandes marques sur leurs chaînes d’approvisionnement ?
- Une information citoyenne au service des choix technologiques
- Accéder à la contre-expertise : trois exemples
- Évaluer les coûts sociétaux, pour choisir les modèles économiques de demain
« Procès bâillons », ou comment intimider les voix critiques
Poursuites (ou menaces de poursuites) contre des militants syndicaux, des lanceurs d’alerte, des activistes locaux, des journalistes ou des auteurs de livres… Certaines entreprises n’hésitent pas à recourir à l’intimidation juridique pour faire taire les critiques. Ce type de procès est désigné en anglais par l’acronyme SLAPP (strategic lawsuit against public participation, procès stratégiques contre la participation publique). En France, on parle de « procès bâillon ». Ces poursuites se basent fréquemment sur le droit de la diffamation, du préjudice moral ou de la protection des marques. Pour les firmes impliquées, elles ont le double avantage d’intimider les critiques, mais aussi de détourner l’attention du public des faits que ces critiques entendaient dénoncer.
Certaines entreprises ont poussé cette logique très loin. La compagnie pétrolière Chevron, dans le cadre de sa bataille judiciaire contre ses victimes équatoriennes suite aux graves pollutions qu’elle a occasionnées dans la région amazonienne du pays, a ainsi fait saisir la correspondance électronique des avocats de ses adversaires, les accusant ni plus ni moins que de racket en bande organisée. Comme si le fait pour les victimes de demander justice et réparation pouvait être ramené à une tentative d’extorsion.
Les groupes français ne se privent pas non plus d’assigner en justice syndicalistes, associations ou médias. Certains s’en sont même fait une spécialité. La firme de BTP Vinci, après que l’association Sherpa ait déposé une plainte en France pour la violation des droits humains des ouvriers migrants sur ses chantiers au Qatar, a rétorqué en déposant pas moins de quatre plaintes contre Sherpa [1] ! Dans d’autres cas, ce sont des journalistes d’investigation révélant des faits de corruption qui sont poursuivis.
Pour les entreprises, ces procès baillons représentent un coût financier négligeable ; pour des individus, des associations ou de petits médias, en revanche, la procédure s’avère souvent très lourde et pesante. Même lorsqu’ils gagnent, ils doivent généralement assumer eux-mêmes les frais de leur défense. Dans le droit français, les poursuites pour diffamation donnent automatiquement lieu à un procès, aussi faibles soient les arguments allégués par les entreprises.
Quelques États ou territoires se sont dotés de lois destinées à prévenir les procès baillons, comme le Royaume-Uni et certaines provinces canadiennes, mais ils restent l’exception.