Eau, bien commun. Climat, territoires, démocratie
Sommaire du dossier
- Introduction
- « Un avenir bleu et juste est possible »
- Régénérer la planète, accéder à une vie saine et sauver le climat
- Que peut un arbre ?
- Politiques du climat : n’oubliez pas l’eau !
- « Et puis un jour, l’eau s’est arrêtée » : quand São Paulo et ses 11 millions d’habitants ont frôlé la catastrophe
- Entre inondations et sécheresses, chroniques d’une Inde face aux défis de l’eau et du climat
- Conséquences du changement climatique sur les glaciers et les ressources en eau du Pérou
- Entre montée des eaux et problèmes d’accès, Jakarta cherche des solutions
- À mesure que les industries extractives s’étendent, la rareté de l’eau aussi : le lac Albert en Ouganda
- Les accords de commerce et d’investissement, une menace pour l’eau
- Défendre le droit à l’eau en France : L’action de France Libertés et de la Coordination Eau Ile-de-France
- Le droit à l’eau, une arme face au boom mondial des industries extractives ?
- Démocratisation, soutenabilité et souveraineté de l’eau au Mexique
- Des droits pour les rivières et les écosystèmes ?
- Le « droit à l’eau », menacé aux États-Unis ?
- La lutte contre l’extractivisme peut-elle mener à la récupération de l’eau comme bien commun au Chili ?
- Comment démocratiser véritablement la gestion de l’eau en Île-de-France ?
- D’abord remunicipaliser, ensuite démocratiser : le cas de Berlin
- Munich, New York, Paris : trois villes qui se préoccupent d’agriculture pour protéger leur eau
- Reconstruire la confiance après Flint : qu’en est-il de l’eau dans votre ville ?
- L’eau, ressource vitale en danger au Maghreb
- Démanteler un barrage aux États-Unis : l’occasion de se mettre d’accord entre différents utilisateurs de l’eau ?
D’abord remunicipaliser, ensuite démocratiser : le cas de Berlin
En 2014, suite à une vaste campagne citoyenne et à un référendum local, la ville de Berlin remunicipalisait son service de l’eau. Mais pour la Berliner Wassertisch, la coalition qui a animé cette mobilisation, la remunicipalisation n’est qu’une première étape. La seconde est de mettre en place un service de l’eau véritablement démocratique et soutenable.

La société de gestion des eaux de Berlin (Berliner Wasserbetriebe - BWB) est redevenue publique à 100% depuis 2014. En 1999, Veolia et RWE en avaient racheté 24,9 % chacune dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP). Comme tous les accords de PPP, cet accord scandaleux était resté secret. Mais en 2011, après que le premier référendum d’initiative populaire « Unser Wasser » eut été gagné à Berlin, les autorités furent bien obligées rendre cet accord public. Cela créa une pression telle sur le personnel politique de Berlin qu’ils rachetèrent les parts de RWE en 2012 et celles de Veolia en 2013. C’est ainsi que la BWB fut finalement remunicipalisée en 2014.
Le prix de rachat s’est basé sur le contrat et la garantie de bénéfices que celui-ci prévoyait pour les partenaires privés sur 30 ans. Berlin a donc versé à RWE et Veolia les bénéfices prévus jusqu’en 2028, en espèces, grâce à un emprunt hypothéqué sur la BWB pour les trente années à venir. Cet emprunt, aujourd’hui, c’est aux usagers de le rembourser, tous les mois, sur la base de taxes forfaitaires. La population berlinoise ressent donc aujourd’hui encore les effets d’une privatisation pourtant révolue. Et cela va durer.
Malgré cela, la remunicipalisation de la BWB est un grand succès. C’est un premier pas, un pas important, vers notre but : la gestion de l’eau comme un bien commun. Cette remunicipalisation permettra de faire de la gestion de l’eau autre chose que ce qu’elle était jusqu’ici. Pourquoi ne parler que d’un premier pas ? Une entreprise qui a été vendue une fois dans le cadre d’un PPP n’est plus la même qu’elle était auparavant. Les entreprises privées n’investissent nos services publics que pour une seule raison : faire le plus de profits possible. La structure générale de l’entreprise est pensée en fonction de cette logique, et on y retrouve systématiquement les mêmes variables d’ajustement :
- baisse des coûts du travail, c’est-à-dire une réduction du personnel alliée à une intensification du travail ;
- réduction des investissements ;
- augmentation des prix pour les consommateurs-trices.
Cette restructuration de l’entreprise n’a pas disparue avec la remunicipalisation. Elle ne peut être modifiée qu’à condition qu’il y ait une volonté politique en ce sens. Mais ce n’est pas le cas à Berlin. Le Sénat et l’ensemble des partis politiques, y compris l’actuelle coalition au pouvoir, SPD, Grüne (les Verts) et Linke (la Gauche), entendent plutôt tirer le maximum de bénéfices de l’eau, dans l’optique d’assainir le budget de Berlin, criblée de dettes (en 1999, le déficit atteignait 35 milliards d’euros ; aujourd’hui, il est à 60 milliards). C’est ce contre quoi nous voulons lutter, comme le dit clairement le mot d’ordre de la « Charte berlinoise de l’eau » (voir ci-dessous) : l’eau paie l’eau.
Tout ce que nous payons à travers nos factures d’eau doit être utilisé exclusivement pour la production et le traitement de l’eau. Actuellement, une partie de l’argent que nous versons pour l’eau part dans le budget général de Berlin, si bien que nous payons une espèce d’impôt sur l’eau pour des choses pour lesquelles nous payons déjà des impôts généraux par ailleurs. La seule façon d’y remédier, c’est que la population berlinoise fasse pression, elle qui a manifesté si clairement sa volonté lors du référendum de 2011. Et donc, suite au rachat de BWB, notre mot d’ordre doit être : après la remunicipalisation, la démocratisation !
Mais que signifie démocratiser la plus grande entreprise européenne de gestion de l’eau (avec environ quatre millions d’usagers) ?
À cette question, la Berliner Wassertisch n’a pas encore de réponse bien définie et nous savons que nous avons encore du chemin devant nous. De ce point de vue, nous pouvons sans doute faire quelques constatations préalables et poser quelques questions ouvertes :
Notre revendication qu’il ne soit pas fait de bénéfices sur l’eau s’oppose à la législation berlinoise sur les entreprises, qui prévoit explicitement que les entreprises publiques de Berlin doivent dégager des bénéfices. Autrement dit, cette législation sur les entreprises doit être changée. Mais comment faire passer ce message dans le public ?
À ce jour, aucun parti politique à Berlin ne manifeste la volonté de donner un droit de regard à la population sur la structure de BWB.
De plus, cette revendication n’est même pas reprise par les représentants syndicaux de l’entreprise.
Pour beaucoup de Berlinois, qui ont voté en 2011 pour la remunicipalisation, le but est atteint.
Nous nous réjouissons de la qualité du réseau d’eau potable à Berlin. Elle explique pourquoi il n’y a pas un engagement très important au sein de la population ; d’autant qu’il y a pour les habitants d’autres problèmes plus importants actuellement, tels que les hausses exorbitantes des loyers.
Ce sont là quelques-uns des points qui nous gênent pour faire de l’eau un sujet de débat dont le grand public pourrait s’emparer, alors que c’est un passage obligé pour tout modèle de démocratisation.
Cependant, nous ne restons pas inactifs. Il y a longtemps que, au sein de la Berliner Wassertisch et du Conseil berlinois de l’eau, fondé en 2014 suite à la remunicipalisation, nous discutons de différentes approches. Sans oublier toutefois que, malgré la remunicipalisation, il faudra du temps pour instituer l’eau comme un bien commun.
Même si l’eau qui sort des robinets est de bonne qualité, Berlin a néanmoins d’énormes problèmes avec son eau du point de vue écologique et de sa durabilité. Par exemple, l’eau qui est potabilisée est prélevée par un filtrat de rive car les nappes phréatiques sont trop polluées. Il y a longtemps déjà que ni les canaux ni les cours d’eau de Berlin ne satisfont plus aux critères de qualité exigés par la directive cadre européenne sur l’eau. De plus, ils sont exposés aux risques de pollution dus à l’extraction de lignite au Sud-est de Berlin. Il n’y a aucune gestion des eaux pluviales.
Il reste par conséquent beaucoup à faire pour régler les problèmes de l’eau à Berlin, au-delà même de la structure orientée vers le profit de la BWB. Nous essayons donc de partir d’angles divers pour développer des voies plus participatives :
1. Restructuration de l’organe de décision de la BWB ; parité au tiers (entreprise/personnel/population) dans un nouveau conseil d’administration qu’il reste à constituer.
2. Installation de conseils citoyens sur le modèle des Conseils de l’avenir développés par les professeurs Leggewie et Nanz.
3. Sensibilisation de la population à l’importance de l’eau avec l’aide du projet « Blue Community » initié par Maude Barlow.
Dorothea Härlin et la Berliner Wassertisch
Charte des eaux de Berlin |
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