Climat : choisir ou subir la transition ?
Sommaire du dossier
- Introduction
- Introduction : « Depuis plus de 40 ans, la question climatique interroge nos modèles de développement »
- Introduction Partie 1 - A L’ORIGINE DE LA CRISE CLIMATIQUE : DES QUESTIONS SYSTÉMIQUES
- L’Anthropocène : une nouvelle ère géologique pour le meilleur... et pour le pire ?
- Les banques privées n’épargnent pas le climat
- Les multinationales sont-elles compatibles avec le climat ?
- Changement climatique et modèle extractif
- Rendre l’économie moins aveugle à ses propres dégâts
- Les nouvelles figures du climatoscepticisme
- Paris, COP21 : Un « accord historique » et une nouvelle façon de poser la question climatique
- La COP21 ne nous sauvera pas... si nous ne nous sauvons pas d’abord nous-mêmes
- La libéralisation des échanges et de l’investissement sapent le climat et la transition
- La Banque européenne d’investissement peut-elle devenir un leader sur les questions climatiques ?
- Le nucléaire n’est pas bon pour le climat, il est bon pour la retraite
- Monétiser la nature : une pente glissante à prendre avec précaution
- La « climate smart agriculture » : une agriculture livrée à la finance et aux multinationales
- Le nouveau visage de la géo-ingénierie sur la route vers Paris : du « plan B » au « zéro net »
- Introduction Partie 2 - MOBILISATIONS LOCALES POUR LA TRANSITION VERS DES SOCIÉTÉS POST-CARBONÉES JUSTES ET SOUTENABLES
- La voix des collectivités locales dans les processus et les négociations climatiques au niveau international : histoire d’un plaidoyer pour le climat
- La Convention des Maires unit les autorités locales européennes dans leur action en faveur du climat et de l’énergie durable
- Energie et démocratie
- Energies citoyennes dîtes-vous ? Quand les énergies renouvelables citoyennes sont moteurs d’une transition sociétale
- L’énergie renouvelable en Afrique : dynamiques et réalités
- L’initiative « Une centrale nucléaire de moins »
- Le sol, pas le pétrole : l’ère du pétrole, du dérèglement climatique et des guerres contre la planète et les peuples
- Les changements climatiques et l’urgence d’une nouvelle conception de la réforme agraire
- L’agroécologie : sécurité économique et autonomie pour les paysans
- Vernand, l’expérience d’une ferme pensée par le paysage : vers une transition agricole, environnementale et urbaine
- Introduction Partie 3 - CONVERGENCES ET RÉGULATIONS POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE
- Le temps des changements : bilan et perspectives de la COP20
- Un climat de détermination : blocage, désinvestissement, alternatives
- Stratégies des mouvements de base pour lutter contre le changement climatique
- Il faut des racines pour résister à la tempête
- Transformation choisie ou imposée par une catastrophe ? Une proposition
- Une transition juste : proposition des syndicats pour s’assurer que personne n’est laissé sur la touche dans un avenir sans carbone
- Dérèglements climatiques et transitions vers le buen vivir en Amérique du Sud
- Regard sur 2050, terme de la transition
- Six propositions pour responsabiliser les États et les entreprises transnationales en matière climatique
- Transformer l’économie globale, un portefeuille à la fois : désinvestir le passé et investir dans l’avenir
- Petits gestes, grande arnaque ?
Introduction : « Depuis plus de 40 ans, la question climatique interroge nos modèles de développement »
L’enjeu climat n’est pas une question nouvelle. Déjà en 1975, le climatologue Wallace Broecker [1] évoque le réchauffement global dans la revue « Science », douze ans plus tard l’ONU et le PNUE [2] mettent en place le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques date de 1995. Il aura donc fallu deux décennies pour qu’une connaissance scientifique se traduise en dispositif de travail politique à l’échelle internationale et cela fait plus de 20 ans que la communauté internationale se réunit chaque année à l’occasion des COP (Conférence des parties) [3] pour débattre des actions à entreprendre afin d’enrayer la spirale du dérèglement climatique.
Ces rendez-vous annuels se traduisent par des déceptions à répétition : les représentants des États peinent à prendre des engagements significatifs, privilégiant la poursuite de la croissance économique à court terme, au détriment de tout autre indicateur, aussi alarmant soit-il. La perspective d’un accord juridiquement contraignant est sans cesse repoussée, cédant la place à des engagements unilatéraux, qui évoluent en fonction des impératifs économiques et ne sont parfois pas respectés sans qu’aucune sanction ne s’applique.
A l’échelle mondiale, aucun virage significatif n’indique la sortie de l’usage croissant des ressources carbonées. Le modèle de développement industrialisé, orienté vers la consommation de masse, guidé par la croissance économique et basé sur l’extractivisme et le recours massif aux énergies fossiles reste largement dominant. Entre 1975 et 1995, les émissions de gaz à effet de serre sont passées de moins de 30 gigatonnes à près de 40Gt et entre 1995 et 2010, elles se sont approchées des 50Gt, poursuivant leur rythme de croissance sans inflexion notable.
L’échéance du « pic pétrolier mondial [4] », annoncée depuis les années 1950, est sans cesse repoussée par des experts qui misent sur l’extraction de ressources moins accessibles. Certains n’hésitent pas à annoncer que ces « nouvelles réserves » pourraient permettre de perpétuer ce modèle durant le prochain siècle… abstraction faite des conséquences climatiques, environnementales, sanitaires et sociales ! Si l’on tient compte de ces impacts et que l’on cherche à respecter le plafond d’un réchauffement global de 2°C fixé par le GIEC, il s’agit au contraire de renoncer à l’extraction de plus de la moitié des réserves connues d’énergies fossiles [5] et de mettre en place au plus vite un arsenal de mesures permettant une transition vers des modèles de société post-carbone. Le dernier rapport du GIEC indique notamment qu’une réduction de 40 à 70 % des émissions globales de CO2 sera nécessaire d’ici à 2050… L’ampleur de la tâche est énorme, chaque pays étant supposé mettre en place une « stratégie climat » transversale, comprenant les politiques énergétique, agricole, de transport, de logement, etc. pour les prochaines décennies ! Ces défis nécessitent une volonté politique résolue. Or, on assiste systématiquement à des contradictions entre les engagements climatiques et les politiques économiques mises en oeuvre par les Etats. Les élus se montrent capables de signer de la même main d’ambitieuses promesses de réduction des émissions de gaz à effet de serre et des autorisations à forer dans des lieux jusqu’alors préservés [6], donnant l’impression de tenir un double discours. Les changements systémiques et radicaux nécessaires ne sont pas engagés et la foi aveugle dans les vertus salvatrices de la croissance économique ou de la technologie domine les choix politiques.
Malgré la noirceur du tableau, quelques progrès sont à relever sur ces quarante dernières années. Concernant les processus intergouvernementaux, si aucun accord contraignant et universel n’a été signé jusqu’ici, les engagement chiffrés annoncés par les pays sont de plus en plus précis, de nombreux plans d’actions et lois climat ont vu le jour de par le monde, avec des résultats tangibles bien qu’insuffisants. Le principe de la responsabilité commune mais différenciée des états face au climat a été adopté, non sans d’âpres débats. Certes il n’a pas découragé les pays émergents de s’engager eux aussi dans une économie fortement carbonée, mais il est au moins reconnu que les engagements des pays dits « développés » soient proportionnés à leur responsabilité plus élevée dans les dérèglements climatiques. Un fonds d’aide international -certes sous-doté pour le moment- a été mis en place pour assister les pays en difficulté. Dans la communauté scientifique, les travaux du GIEC et d’autres groupes de chercheurs ont permis de réduire considérablement les doutes et les contestations à propos des causes humaines du réchauffement climatique. Les experts ont réussi à convaincre, preuves à l’appui, la grande majorité des décideurs de l’urgence de la situation. Les protocoles de mesure et de suivi des émissions carbone se sont considérablement précisés et permettent d’articuler de mieux en mieux le suivi scientifique des émissions et la mise en œuvre de politiques publiques visant à les réduire. Il reste bien sûr de nombreux débats à ce sujet, notamment sur la prise en compte dans les calculs de CO2 du carbone « gris » contenu dans les objets consommés par les habitants d’un territoire donné : certains proposent d’attribuer ces émissions aux consommateurs, d’autres, aux lieux de production.
Mais c’est surtout à l’échelle locale, au Nord comme au Sud, que des progrès concrets sont réalisés. L’émergence et le renforcement d’acteurs et de réseaux agissant localement a permis de mettre en place des alternatives concrètes et éprouvées montrant la voie vers des sociétés post-carbone. On peut relever deux ensembles d’acteurs mobilisés à ce niveau : les gouvernements locaux et les organisations et mouvements de la société civile. Au sein de chacune de ces grandes familles, il existe de nombreux types d’organisations qui s’engagent de manières diverses.
A travers le monde, des réseaux de villes développent des outils communs pour mesurer et reporter leurs contributions aux réductions nationales de CO2. Ils s’inscrivent de cette manière en partenaires des gouvernements nationaux et participent à des espaces de travail articulés aux processus inter-gouvernementaux. Des élus locaux prennent des engagements chiffrés face à leur électorat, associant les acteurs de leurs territoires à la poursuite d’objectifs communs ambitieux et à la mise en œuvre de politiques locales progressistes. Des citoyens s’organisent pour dénoncer les impacts du changement climatique sur leurs moyens de subsistance ou leur cadre de vie et mettent en œuvre d’autres manières de produire et consommer sans attendre que les changements viennent « d’en haut ». De vastes campagnes associant des acteurs très divers visent à réorienter les investissements financiers des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Des actions de plaidoyer se multiplient pour que la question du climat soit débattue de manière démocratique et éthique, et que soit reconnue la nécessité de protéger les populations vulnérables déjà affectées par les effets du changement climatique. Des procédures judiciaires aboutissent pour condamner des politiques publiques trop faibles par rapport aux dangers que fait peser le changement climatique sur l’intérêt général. Souvent cloisonnées et parfois trop différentes pour s’unir, ces mobilisations ne constituent pas aujourd’hui un front commun unifié, mais les rapprochements se multiplient, rendant possible la perspective d’un mouvement citoyen pour la justice climatique.
Le fil rouge commun à ces dynamiques locales ? Elle s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’aller plus vite et plus loin que les processus inter-étatiques actuels. La plupart font également le constat que les changements nécessaires sont d’ordre systémique, voir par exemple le slogan qui résume les revendications de nombreux mouvements : « Changeons le système, pas le climat ! ». Car, au-delà de la question du climat, c’est bien la transition vers un autre système économique qui est en jeu, plus respectueux des équilibres sociaux et environnementaux. Face aux blocages des négociations inter-étatiques et à la nécessité d’impliquer une vaste gamme d’acteurs dans cette course contre la montre, il est crucial de favoriser toutes les dynamiques de convergence, tout en renforçant les visions communes des enjeux et des objectifs à atteindre afin de construire des sociétés justes et soutenables.
Le présent dossier a pour modeste ambition de contribuer à ces rapprochements en donnant la parole à des représentants de réseaux de collectivités locales et de la société civile dans sa riche diversité. Il cherche à établir des passerelles entre ces mondes qui parfois s’ignorent alors que, chacun à sa manière, ils œuvrent de manière décisive à accélérer la transition vers des modèles de société post-carbone.