Une intervention pro-Palestine dans le village touristique de Pisaq

Salut à toustes,

Me voici installée à Cusco, dans la même chambre que l’année dernière, que me loue la mère d’une amie à moi. Pour 125 euros par mois, j’ai un mini appartement avec un coin cuisine, une grande chambre, ma salle de bain, internet et tutti quanti. Je suis donc dans de bonnes conditions pour écrire - et de fait j’ai déjà terminé d’écrire un chapitre, sur la dimension coloniale des méga-projets miniers dans la région (j’ai la voix de Nathalie et Myriam dans l’oreille qui me disent "rah lala, Caro bulldo..."). Je l’ai envoyé à quelques collègues-camarades pour avoir leurs retours critiques avant de l’envoyer à ma directrice de thèse, parce que je mobilise le cadre théorique décolonial qui fait encore et toujours débat à l’université...

En attendant, j’ai rejoint un groupe militant pro-Palestine à Cusco. Iels s’étaient organisé·es après le 7 octobre, mais le groupe s’était essoufflé avec le temps. C’est l’organisation d’un méga festival de musique, une sorte de grosse "rave party" 100% israélienne qui a relancé le mouvement. Cela fait un moment que les jeunes Israélien·nes viennent à Cusco après leur service militaire de trois ans pour se "détendre" et faire la fête. Depuis le 7 octobre, tous ces jeunes gens reviennent de Gaza et s’installent dans des quartiers entiers de Cusco où tout est écrit en hébreu ; et dans le village très touristique de Pisaq, où un groupe de Beith Habad (l’aile de droite dure du mouvement de colonisation des terres palestiniennes) a ouvert un "centre synagogue" pour capter les jeunes qui font la fête. A Pisaq, les locaux ont peur d’exprimer leur solidarité avec la Palestine. Les cusquénien·nes, comme tous les peuples qui ont connu la colonisation, se solidarisent spontanément avec la Palestine ; mais les ex soldat·es réagissent très violemment face à ces expressions, comme en témoigne une voisine qui a retiré sa pancarte "Solidarité avec la Palestine" par peur des représailles. Cette solidarité locale est donc bâillonnée, autant par la peur que par le fait que le village vit du tourisme, et que les Israélien·nes ont complètement monopolisé la demande touristique depuis quelques années. Un conditionnement par l’argent et par la peur, donc. L’amie d’une amie a été ouvertement attaquée par les occupant·es du centre en question après être allée se plaindre de l’agression contre sa fille de la part de jeunes Israéliens drogués. Réellement, ces ex soldat·es sont omniprésent·es à Pisaq et dans la Vallée sacrée des Incas, en particulier dans les centres de retraites spirituelles, ce qui nous semble à tous·tes très ironiques, parce que "tuer des enfants palestinien·nes, c’est pas très spirituel".

Le festival "Inka project" s’est donc tenu hier soir à la sortie du village de Pisaq, dans un resort touristique. Mardi soir, nous étions une quinzaine d’activistes à nous regrouper pour aller coller des affiches dans le centre ville de Pisaq et aux abords du resort où aurait lieu, le lendemain, la grosse fête sioniste. Placardant des affiches, en particulier les centres israéliens et les espaces publics comme le marché où tout ce beau monde vient petit-déjeuner, nous avons rempli l’espace public d’une forte contestation à la présence israélienne qui intimide et fait taire la solidarité avec la Palestine. Rapidement, les "serenazgos" (service de sécurité citoyenne) nous ont pris en chasse pour nous expliquer qu’il ne faut pas donner une mauvaise image à ce village qui vit du tourisme ; puis les échanges sont montés d’un ton, quand quelques voisin·es sont venu·es se plaindre des graffitis sur leur mur. Cependant, il a été facile de les convaincre du bien fondé de notre action : tout le monde a conscience du danger que représentent ces jeunes qui reviennent de la guerre, habitué·es à torturer, à tuer et à violer, qui viennent se "détendre" en se droguant (un argument qui fait mouche chez une population assez conservatrice sur la question des drogues). En discutant avec les voisin·es, rapidement le sentiment pro-palestine ressurgit, et tout le monde nous donne raison. Évidemment, en bout de course, les policiers ont insisté pour recevoir leur pot-de-vin à l’approche de la Semaine Sainte, mais nous nous en sommes tiré·es sans autre soucis qu’une bonne fatigue.

Le lendemain, les camarades vivant à Pisaq témoignent de l’impact de notre action. Personne n’a parlé d’autre chose, dans le village, que des affiches qui ont inondé les murs, mais aussi et surtout de la présence de ces jeunes soldat·es qui fait peur à tout le monde. Enfin, nous dit une camarade, enfin le tabou est levé, et émerge une discussion collective et à voix haute sur la situation plombante dans le village. Mais surtout, tout le monde parle de l’altercation qui a lieu entre des jeunes israélien·nes et une touriste états-unienne qui les interpellent alors qu’iels arrachent nos affiches. En quelques secondes, la conversation passe de "qu’est ce que vous faites ?" à "tais toi, on va te tuer, toi et tes enfants, vous méritez tous de mourir de la pire manière". Ladite touriste est sous le choc des menaces de mort qu’elle reçoit, comme sorties de nulle part. La scène fait rapidement scandale dans les réseaux sociaux du village, et la pression s’amplifie devant la violence inouïe des jeunes soldat·es israélien·es. Des discussions sont en cours avec le maire de la ville, pour demander que soit révoquée l’autorisation de fonctionnement des lieux exclusifs pour ces jeunes israélien·nes, les fêtes privées, etc.

Ceci n’est pas nouveau. Les touristes israélien·nes sont particulièrement détesté·es en Amérique du Sud, à cause de leur comportement violent, agressif, mais aussi terriblement arrogant et méprisant. Un ancien élève à moi, lorsque j’enseignais à l’Alliance Française de Cusco en 2013, me racontait que la nuit les jeunes israéliens revenaient à l’hôtel où il travaillait défoncés, au bras de jeunes filles cusquéniennes visiblement mineures. Lorsque mon élève, garde de nuit, demandait à voir leur document d’identité (en cas de prostitution infantile, l’hôtel peut avoir de graves problèmes légaux), les Israéliens se mettaient à hurler, à l’insulter, à l’agresser, certains détournant l’attention pour que d’autres puissent monter avec les filles. Et cela, de façon répétée. De nombreuses personnes qui travaillent dans le tourisme témoignent du mépris de ces jeunes qui sortent de trois ans de service militaire, qui jettent leur argent à la figure des travailleur·ses et estiment que tout leur est dû, puisqu’iels payent. Il semble que l’État d’Israël ait des accords avec certains pays d’Amérique du Sud ; par exemple, les Péruvien·nes sont exempté·es de visa pour aller en Israël. En échange, les touristes israélien·nes affluent en masse.

Les agressions sionistes contre le mouvement de solidarité avec la Palestine ne sont pas rares. J’ai moi-même assisté, l’année dernière, à une altercation violente au milieu d’un rassemblement. L’un de nos camarades avait un drapeau palestinien, et une touriste chilienne pro-Israël s’est approchée pour nous insulter ; lorsqu’une amie lui a tourné le dos (parce que parler avec elleux ne sert à rien, on parle à un mur), la chilienne sioniste l’a étranglée, poussée par terre et à commencer à lui donner des coups de pieds dans le ventre. Une vidéo d’une agression contre un autre rassemblement pro-palestinien à Cusco avait fait le tour des réseaux sociaux.

Ainsi, la pression exercée à Cusco et dans ses environs, en tant que haut lieu du tourisme international en général, et des lieux de fêtes et de distraction des soldat·es israélien·nes en particulier, a pour objectif de soutenir la pression, de leur rappeler qu’iels ne sont pas chez elleux, qu’iels ne sont pas en terrain conquis, et que s’iels tuent des enfants palestiniens à Gaza, on ne les laissera pas s’amuser tranquillement à Cusco et dans la Vallée sacrée.

Demain, a lieu un rassemblement dans le centre ville de Pisaq, en réaction aux agressions subies aujourd’hui. Je vous tiendrai au courant.

Viva viva Palestina !