Réappropriation populaire et démocratique des médias

Par réappropriation populaire et démocratique des médias, on entend le « contrôle des moyens de production de l’information, de la culture et des divertissements directement par les salariés des médias, ainsi que par les citoyens eux-mêmes, réunis au sein d’associations à but non lucratif [1] ».
Pour ce faire, il convient de limiter la concentration des entreprises médiatiques (dont le moteur est la financiarisation), contribuer « au renforcement et à la refonte du secteur public de l’audiovisuel et à la création d’un statut spécifique pour les entreprises de presse à but non lucratif », soit prendre en compte véritablement le « rôle joué (et à jouer) par les médias dits du Tiers secteur audiovisuel [qui, en tant que ] source de renouveau des contenus et des formes […] sont les garants d’un pluralisme culturel, politique et surtout social ».
En d’autres termes l’appropriation populaire et démocratique des médias suppose de considérer le spectre radioélectrique comme un bien commun, d’en assurer une égale répartition (entre des médias publics, des médias privés à vocation lucrative et d’autres à vocation non lucrative) et de garantir le plein exercice de véritables droit à l’information et droit d’être informé.

Définition développée

Face au constat d’« un service public engagé dans une course à l’audimat avec le secteur privé [2] », d’un « ‘Tiers secteur audiovisuel’ qui ne dispose pas des moyens de son existence » et « des médias privés contrôlés par une poignée d’entreprises, dont certaines vivent des commandes de l’État », les acteurs de la transformation sociale ne peuvent véritablement s’engager dans une critique de la mondialisation néolibérale sans militer pour une appropriation populaire et démocratique des médias.
Evidemment, « Si le mode d’appropriation capitalistique a fait la démonstration de ses effets pervers, il ne s’agit pas de proposer un retour à un contrôle étatique (mais surtout gouvernemental) des médias ». De même, « une appropriation démocratique des médias n’est pas, seule, un gage de qualité, ni la certitude que de nouvelles pressions politiques ne viendront pas gripper la machine ». Il faut dés lors s’assurer que les organismes de contrôle du secteur audiovisuel ne soient pas inféodés au pouvoir politique, et qu’il soient pour cela constitués de manière véritablement démocratique et paritaire.
Dés lors, si « l’indépendance politique et économique est un préalable à toute transformation durable de ce secteur [Et que] l’on ne saurait penser la transformation sociale sans transformation des médias » [3], on peut également souhaiter, à l’image de Pascal Durand, souhaiter une réappropriation démocratique de l’information. Pour ce faire, outre ce qui a été énoncé ci-dessus, l’auteur évoque des pistes telles que « l’application des règles en vigueur dans la profession [4] », c’est à dire observer et sanctionner les manquements à une véritable déontologie et éthique du journalisme, « veiller à une solide formation critique des aspirants au journalisme » dans les universités et écoles spécialisées, de par « une circulation plus équitable de la recherche en sociologie et en théorie critique des médias - comme aussi en sémiologie non contemplative » ; et enfin, « une reconquête du temps médiatique », soit une lutte contre la recherche du scoop et les mécanismes qui conduisent à une pensée stéréotypée, ou du « fast thinking » dans les mots de Pierre Bourdieu. En un mot, il s’agit de créer les conditions pour lutter contre la production et la reproduction d’une « vision du monde conservatrice, que Pierre Bourdieu appelait une " politique de la dépolitisation " [5].
Rappelons toutefois que « [...] Si les médias de masse exercent un quasi monopole du journalisme, ils n’ont pas le monopole de l’information. Outre l’existence de médias alternatifs, il existe une alternative aux médias. L’information, la connaissance, le divertissement sont également le produit d’une pratique sociale : les gens s’informent sur la société, se cultivent, voire se divertissent à travers leurs conditions d’existence ; les débats entre amis et camarades, les réunions publiques, la lecture d’ouvrages, l’école sont autant de formes de " médias " alternatifs, susceptibles à ce titre de contredire et de combattre l’information officielle. Se dire condamné à l’alternative compromission médiatique / silence social serait concéder aux médias une grande victoire : l’idée qu’il serait impossible d’agir et de vivre sans eux [6] ».

Exemples

En Argentine, la « Ley de servicios de comunicación audiovisual » promulguée en octobre 2009 est un bon exemple de cadre d’intervention et de réglementation pour veiller à une appropriation populaire et démocratique des médias, dans la mesure où « l’objectif de cette loi […] est de jeter les bases d’une législation moderne, prévue pour garantir l’exercice universel pour tous les citoyens du droit à recevoir, diffuser et rechercher des informations et opinions et qui puisse constituer un véritable pilier de la démocratie, en garantissant la pluralité, la diversité et une liberté effective d’expression [7] ».
Si d’autres pays latino-américains se sont engagés dans cette dynamique (à l’image du Venezuela, de l’Uruguay, de l’Équateur, etc.), de nombreux acteurs des médias du tiers secteur luttent un peu partout dans le monde pour affirmer et faire valoir cette revendication.

Historique de la définition et de sa diffusion

S’il nous semble difficile de dater exactement l’apparition de l’expression en tant que telle, en revanche la réflexion autour de l’appropriation populaire et démocratique des médias (ou la réappropriation) a émergé dès la prise en compte du pouvoir que pouvaient exercer les médias, notamment sur l’orientation du débat public.
En France, le programme du Conseil National de la Résistance posait déjà les conditions d’un encadrement à la concentration des médias. Si la mainmise du pouvoir politique a toujours été questionnée, la période ouverte par le développement des NTIC et la règle des 3D (Décloisonnement, Déréglementation, Désintermédiation) durant les années 80, marque le début de la contre révolution néolibérale et des pratiques de concentrations médiatiques, motivées par la financiarisation. C’est en réaction à ce mouvement, et au développement croisant et concomitant d’une conception de l’information en tant que marchandise, que des formes de résistance médiatique ont progressivement commencé à se faire entendre.

Utilisations et citations